Le pavillon

Le quartier est calme, les voitures bien garées. les jardins fleuris, les haies taillées et les voisins polis.

La voisine du pavillon à droite, un jeune retraitée fait signe de la main à mon frère et sa conjointe. Le sourire qui accompagne son geste et les voitures garées devant chez elle laissent deviner sa bonne humeur du jour : ils ont de la visite.

 

De mon côté, je suis de passage pour une journée et une nuit en famille. Un rapide plongeon dans un de mes cocons.

 

Dans ce quartier, j'observe cette forme tranquille de perfection, de celle qui s'est installée sans faire de bruit, pour ne pas déranger les voisins. Chaque chose est à sa place : l'espace entre chaque maison, les rideaux aux fenêtres, la longueur des haies. Dans ce quartier commun pour certains, je trouve une forme d'exotisme. J'ai déjà commencé à photographier 

 

Du pavillon de la jeune retraitée, une voix interpelle une femme qui s’apprêtait à rentrer dans sa voiture.

- « Sabine ! Viens ! Ton père est tombé, je suis en panique ».

Je ferme ma portière, mes yeux balayent la scène pour comprendre. La femme claque sa portière à son tour, suivi de son jeune fils. Elle se dirige en courant vers la maison qu'elle venait vraisemblablement de quitter.

 

Je rentre avec le livre que j'étais partie récupérer 2 minutes plus tôt. Je raconte ce que j'ai entendu et ce que j'ai vu dehors. De notre côté de la haie, le barbecue est lancé, il peine à prendre. Les 2 chats de la maison se toisent sous le regard inquiet de ma belle-sœur qui veut éviter une guerre des griffes. Mon frère a tourné les merguez, le samu a été appelé nous dit-il, il vient de l'entendre. A ce moment là on ne sait pas bien quoi penser. Dehors des bribes de conversation nous arrivent par dessus les buissons, on attend, on entend, on vit comme si de rien et puis parfois on se tait. On est pas tout à fait concernés mais on se retrouve témoin des mots qui racontent de loin. L'inquiétude a chassé la perfection.

 

A mon tour, je vais m'occuper des merguez. Je déteste les croquer et sentir une explosion grasse, c'est comme ça je n'aime pas. Dans notre jardin : je pique, le gras s'échappe. Dans le jardin d'à côté, elle oublie la pudeur habituelle du quartier. La douleur efface la pudeur, toujours. Elle crie « non ». Un long non, suivi d'un deuxième. Avec des morceaux de trémolos et de trucs qui s'inventent pas. Un non qui hurle l'impuissance et l'irrévocable. Un « non » qui tire un trait sur la vie d'avant, dès cet instant. Aujourd'hui, demain et les jours d'après ont viré.

 

Les merguez ne cuisent pas. Le feu se fait tout petit. J'écoute. Et mon cœur se serre. Comme celui de cet homme. A la différence que ça ne me coûtera pas la vie. Une crise cardiaque, on l'aura appris le lendemain. C'est comme ça qu'il est parti. Et la perfection l'a suivi.

 

Reste la vie, et peu importe en fait qu'elle soit imparfaite.